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21 juillet 2011 4 21 /07 /juillet /2011 22:53

 

 

Impossible aujourd’hui de circuler à Abidjan. De Port-Bouët à Abobo en passant par Treichville, Plateau et Yopougon, les voies sont dégradées. Et cela n’est pas sans conséquences sur la vie économique et sur celle des usagers.

 

« Abidjan est en ruine ». C’est en ces termes que le premier Soro Guillaume a exprimé son désarroi le 16 juin dernier, au terme de sa tournée dans la cité abidjanaise pour toucher du doigt le calvaire des usagers de la route. Et il n’a pas tort. Abidjan, moteur économique de la Côte d’Ivoire se meurt. Du moins, les routes d’Abidjan se meurent. De Port-Bouët à Abobo en passant par Treichville, Plateau, Adjamé et Yopougon, il est difficile de circuler.  Des nids de poules se sont développés jusqu’à devenir de véritables trous qui coupent les voies d’Abidjan. Aucune commune n’est épargnée par cette « maladie infrastructurelle ».

Yopougon, champion des catastrophes

Yopougon est de loin celle dont le réseau routier est le plus dégradé. Bien nantie en réseau routier il y a quelques années, la capitale de la joie est devenue aujourd’hui une zone interdite pour les automobilistes. Sur la plupart des voies de la cité se dressent des nids de poule. De la poste des Toits Rouges au cinéma Boissy, de Wassakara à Mossikro, du Nouveau Quartier à la Sideci, de la Gare à Niangon… les usagers de la route souffrent le martyr. Certaines zones ont même la mauvaise réputation de démolisseuses de voitures. 

C’est le cas de Gabriel Gare, sur l’axe Siporex-Sable. La voie est devenue impraticable. L’épineux problème de l’assainissement a aggravé la dégradation de la route.  Quelle que soit la saison, sèche ou pluvieuse, cet endroit est toujours envahi de la boue issue des eaux usées des habitations circonvoisines. Les chauffeurs de taxis communaux « wôrô-wôrô » et de mini-cars « gbaka » se démerdent dans le tracé sinusoïdal de cette voie stratégique au risque d’abîmer la mécanique de leurs engins.

Cette route n’a de cesse de cahoter les véhicules des téméraires chauffeurs en quête de leur pitance quotidienne. « La route est dégradée, mais on est obligée de passer par ici. A chaque fois, on a des pièces cassées. On pensait que les travaux au carrefour Sable allaient  s’étendre ici. Hélas », se désole Madou Nêguê, chauffeur  de gbaka. 

La Sotra et ses bus ont eux, dû baisser pavillon devant cette voie périlleuse. Ainsi, l’itinéraire du bus n°34 assurant la ligne Gesco-Plateau a été modifié. Désormais, du carrefour Siporex, il se dirige directement vers l’autoroute pour ressortir vers le Sable et continuer tranquillement le reste de son trajet.

Scénario identique pour le bus n°42 assurant la ligne Sideci-Plateau. Son itinéraire a été amputé du tronçon Saguidiba-Pharmacie Akadjoba qualifié de « petit Indénié ». A cet endroit, un pan du goudron a été emporté par les eaux usagées. Et ceci, au nez et à la barbe du service technique de la mairie dont les locaux sont mitoyens du site. Des travaux de réhabilitations maintes fois initiés se sont avérés vains. D’autres sont actuellement en cours, mais le pessimisme habite les usagers. « J’espère que les travaux entrepris ces temps-ci vont résoudre le problème qui est assez complexe, car il y a l’assainissement qu’il faut revoir. Sinon, dans quelques mois on va repartir à la case départ. C’est-à-dire que pour éviter les mauvaises odeurs et le calvaire de la route, on est obligé de faire le grand tour quand on est véhiculé », relève M. Guy Yoro, agent des Impôts et habitant du quartier Lem.

Au ‘‘Panneau Stop’’, non loin du Centre Hospitalier Universitaire (CHU), sévit un autre enfer pour les usagers et les riverains. Si en saison sèche, malgré tous les aléas, les voitures arrivent à se frayer un chemin, pendant la saison des pluies, les choses se compliquent. En fait, des jeunes à l’intelligence malsaine viennent créer des crevasses, bouchent les avaloirs et se font passer pour des guides dans l’intention de soutirer de l’argent aux taximètres et autres conducteurs. Même les piétons n’échappent pas à ce commerce. Des escabeaux de fortune ont été érigés pour eux moyennant des pièces sonnantes au passage. « C’est comme ça, on souffre ici. On va faire comment ? On est obligé de passer par là pour arriver vite au marché », s’exclame une ménagère, habitante de ce secteur. Ce tronçon pose de réels problèmes de circulation car, c’est un raccourci pour atteindre rapidement l’autoroute du nord via l’échangeur (le 3è pont). Au regard de son état de dégradation avancé, les automobilistes sont obligés de se soumettre à un grand détour en passant par le carrefour CHU ou par Gesco. Ce qui crée des embouteillages impressionnants aux heures de pointe. Les taxis n’osent pas s’aventurer sur cette voie quand la circulation se densifie. Plus grave, il nous a été rapporté à plusieurs reprises que des malades transportés au CHU sont morts en cours de route du fait de cet engorgement. 

La grande zone de Niangon n’a pas échappé au mal. L’axe partant du carrefour Texaco à la paroisse Saint Pierre se caractérise par une dégradation du bitume. Il en est de même du tronçon Lubafrique-Cité Verte un peu plus au nord.

 Adjamé , c’est aussi grave !

Après Yopougon, direction la commune d’Adjamé. Point de convergence de tous les Abidjanais, elle disposait aussi d’un réseau routier appréciable. Malheureusement, celui-ci n’a pas échappé au fléau de dégradation des voiries urbaines. En plus du désordre dû au commerce informel, le mauvais état des voies participe à l’enlaidissement de cette commune.

Le marché Gouro, pourvoyeur du vivrier, baigne dans un environnement particulièrement nauséabond orné d’une boue permanente et d’immondices des plus répugnants. Pas un cm² de bitume en ce lieu.

Au carrefour de la formation sanitaire Marie Thérèse Houphouët, le bitume a laissé place à la terre nue. Un peu plus en avant, en remontant au cœur du quartier Saint Michel, un gros pan du goudron est véritablement endommagé. Quelques mètres plus loin, le  goudron a été littéralement bouffé par la pluie abidjanaise, laissant la boue s’emparer des lieux.

Aux 220 logements, en face de l’ex-cinéma Liberté, la route est en train de perdre son état initial. De nombreux nids de poules ont fait leur apparition. Quelques mètres plus loin, au niveau de l’échangeur d’Agban, la pluie a encore emporté le bitume. Pour faciliter la circulation, des volontaires ont bouché les trous à l’aide de sacs de sable. Mais que peut faire un sac de sable là où le goudron n’a pu résister ?

Sur l’axe du Zoo, depuis la réhabilitation de la voie, la joie semble revenue. Toutefois, les travaux sont loin d’être achevés. Les canaux d’évacuations non encore suffisamment fixés n’arrivent pas à contenir les eaux de pluie. Conséquence, la route est coupée chaque fois qu’il pleut.

 Abobo, « no way à Bagdad City »!

A Abobo, surnommée Bagdad City, il n’est même pas question de dégradation de route, car, à la vérité, il n’en existe presque pas. Hormis l’autoroute d’Abobo-Adjamé et la route du Zoo qui relient la populeuse commune du nord d’Abidjan au centre ville, les autres axes sont dépourvus de goudron. « Chez nous ici, il ne s’agit pas de dégradation mais, de manque de route. Il est impossible de quitter le quartier Belle Cité (BC) pour aller à la Soghefia en empruntant les woro-woro », avance Koné Abdoul, habitant de BC.

Les quartiers sont donc coupés les uns des autres. Seul la Soghefia a joui par le passé de la commodité du bitume au niveau de l’axe allant de la gare routière au lycée moderne en passant par le camp commando, le complexe municipal, et la résidence universitaire. Aujourd’hui, la route est impraticable et même coupée par endroits. Seul le tronçon partant de la gare au camp commando est résiste encore à l’usure.  Pour le reste, c’est la croix et la bannière. Les chauffeurs de wôrô-wôrô se soumettent chaque jour à des manœuvres dignes d’équilibristes de cirque pour rallier un bout de la commune à un autre. « On ne peut pas passer d’un quartier à un autre. On part tous de la gare pour entrer dans la commune. Une fois en plein cœur, chacun se débrouille comme il peut pour  rejoindre sa maison », souligne Dosso Abou, chauffeur à la gare.

Ainsi, les populations partent de gare vers les autres quartiers : Soghefia, BC, Habitat, Avocatier, Abobo Baoulé. Une fois au terminus du wôrô-wôrô, le reste du trajet se fait à pied. Et là encore, il faut avoir des jambes agiles pour effectuer de grands bonds afin de sauter les gros trous sur les routes. Chaque matin, les travailleurs convergent vers la gare routière située à la gendarmerie. C’est à partir de là qu’ils peuvent emprunter des véhicules de transport en commun pour sortir de la commune.

En raison du manque de routes praticables, les bus de la Sotra se contentent de faire le tour du quartier Soghefia et stationnent à la résidence universitaire. Les élèves et étudiants sont donc obligés de se déporter aux terminus de la Soghefia ou du dépôt 9 sur la route de PK 18.

Treichville et sa zone portuaire enclavée

Après Abobo, direction Treichville. Dans cette commune, le problème majeur se situe dans la zone du Port Autonome d’Abidjan (PAA).  Poumon de l’économie ivoirienne, le PAA est en voie d’enclavement tellement il est  difficile d’y accéder. Toutes voies qui y mènent sont parsemées de nids de poules et autres crevasses surnommées « nids d’autruche » en raison de leur taille impressionnante. Du CHU de Treichville à la direction générale de la Sotra, de l’abattoir de Port-Bouët à la Sir,  de  l’axe Grand Moulin à  Vridi Cité, toutes ces voies qui quadrillent le PAA sont devenues de véritables parcours du combattant.  Les secousses effrayantes des gros camions, des grumiers et des grues démontrent l’ampleur des dégâts de la voirie. Les véhicules légers hésitent à se hasarder sur ces voies au risque de casser leur mécanique. Les téméraires qui s’y aventurent s’adonnent à un ballet sinusoïdal synchronisé pour éviter les trous. Les zigzags à n’en point finir de ces derniers provoquent de nombreux accrochages et parfois de graves accidents.  A cela s’ajoutent les innombrables crevaisons et autres casses. La zone portuaire a actuellement des allures de zone interdite pour les véhicules. Une véritable balafre pour les chantres du miracle ivoirien.  

Cocody : Ah, la « Rue ministre » !

En tout cas, Abidjan ne peut s’enorgueillir de son réseau routier. Le mal a gangréné jusqu’au fleuron : le quartier huppé de Cocody.  Le « carrefour de la vie » serait-il en voie de redevenir le « carrefour de la mort », son surnom d’antan?  Une chose est sûre, ce carrefour stratégique a entamé un processus inquiétant de dégradation. La chaussée est en permanence envahie par les eaux usées des cités environnantes ; ce qui au fil du temps érode le bitume à la qualité douteuse. L’axe Lycée technique-Ecole de police se caractérise par une succession de nids de poules et de crevasses diverses. Cette dégradation perturbe la circulation et provoque des accidents souvent graves.

La Riviera 3 ne mérite plus son surnom de « Beverly Hills ». L’état cahoteux de la voirie contraste avec les belles et gigantesques villas qui pullulent dans ce quartier.

Les dernières pluies ont mis à nu les limites de l’urbanisation de la commune de Cocody. La voie expresse menant à Bingerville a été coupée.

Que dire de la fameuse « Rue ministre » à la Riviera Palmeraie ?                        Elle a perdu de son éclat et même la quintessence de son nom. Le  beau bitume noir a cédé la place à la latérite, faisant alterner poussière, boue et flaques d’eau selon les saisons. La « Rue ministre » est devenue une minable piste digne d’un campement. 

A Angré, la scène est pathétique. Le terminus des bus 81 et 82, l’axe Angré-Aboboté, Mahou et d’autres artères sont impraticables. Quant aux autres voies de la commune, elles apparaissent comme des borgnes aux pays des aveugles en raison des nombreux dos d’âne qui ralentissent fortement la circulation.

Koumassi et l’exception Marcory

Notre périple s’achèvera par les communes de Koumassi et Marcory. Dans la première, la situation n’est différente de celles des autres communes déjà visitées. Nombreuses sont les artères difficilement praticables. Mais, l’endroit le plus remarquable par l’état de dégradation de la voirie est le tronçon passant devant l’hôpital sis non loin du grand carrefour. Le bitume a littéralement volé en éclat et les nids de poules sont légion. Situation identique de la zone industrielle aux alentours du marché. On se croirait à Adjamé.

Les routes sont si dégradées qu’en se rendant à Marcory, on se dit que ce serait l’apothéose. Grande est alors la surprise de l’automobiliste. Cette commune est l’exception qui confirme la règle. L’état des routes à Marcory est très acceptable. L’entretien est régulier. Le secteur du grand marché, qui était devenu un véritable casse-tête pour les automobilistes, a été remis en état. Peut-être la taille de la commune facilite les choses. Au moins, notre périple se termine sur des notes positives. Mais, cela ne saurait remettre en cause le constat général : à Abidjan, il n’y a plus de routes !

 

Réalisé par Jean-Pierre Méa

et Sylvain Djépé

 


 
 
Les ingénieurs ivoiriens au pilori, mais… (ENCADRE)

 

Dans l’esprit de la population, l’état de la dégradation de la voirie abidjanaise s’explique principalement par les carences des ingénieurs des chaussées. Ceux-ci sont accusés de ne pas construire les routes selon les normes techniques en vigueur. Le blocage actuel des travaux de la route du zoo tend à donner raison aux rumeurs. Le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD), chargé du suivi et du contrôle des travaux, y a décelé un enrobé bitumé non exécuté dans les normes. En d’autres termes, le nombre de couches de bitume à poser n’a pas été respecté. D’autres difficultés sont liées au talus (accotements) et aux travaux de canalisation. La rigueur des contrôleurs du BNETD a conduit l’entreprise maître d’ouvrage à revoir les délais de livraison. Si ce contrôle avait été complaisant, l’œuvre aurait été remis aux autorités en fanfare. Avec l’éclat du bitume neuf, tout le monde aurait été content. Pourtant, il existe des défaillances techniques qui auraient été mis à nu quelques mois plus tard. En ce moment, les usagers de la route n’auraient eu que leurs yeux pour pleurer. Il est fort à parier que de nombreux ouvrages ont été ainsi livrés sans respect des normes techniques et sans un contrôle rigoureux. La responsabilité des ingénieurs ivoiriens est donc engagée dans la dégradation de la voirie à Abidjan.

Ce n’est pas tout à fait l’avis du Directeur Général de l'Ageroute, M. Bouaké Fofana, qui, lui, pointe du doigt l’état de vieillissement du réseau routier ivoirien. Dans un entretien accordé à un quotidien de la place, il a essayé de justifier sa thèse : «  En 1985, on avait environ 15 % du réseau qui avait dépassé la durée de vie. 20 après, les rapports se sont inversés. Il y a seulement 12% du réseau qui est en dessous de sa durée de vie. Cela veut dire que plus de 70 % du réseau a dépassé la durée de vie ». Et le patron de la gestion des routes ivoiriennes d’ajouter : «  La durée de vie moyenne des routes en Côte d’Ivoire est de 15 à 20 ans, à conditions que l'entretien courant et périodique suive.  Or, les principales voies d’Abidjan qui sont aujourd’hui dégradées ont plus de 20 ans de vie. Pire, les crises sociopolitiques qu'a connues le pays depuis plus de 20 ans n'ont pas permis aux collectivités territoriales et à l'Etat d'entretenir les routes comme il le faut».

Il poursuit : «  Paradoxalement en Côte d’Ivoire, c'est pendant que notre réseau routier vieillit, et qu'il a besoin de plus d’entretien, que les ressources mobilisées pour l’entretien baissent. En 1985, on avait 350.000 F par km par an pour l’entretien du réseau bitumé. En 2005, on a dépensé moins, alors que le réseau est devenu vétuste ».
M. Bouaké Fofana a également relevé l'épineux problème d'assainissement pour expliquer la dégradation des routes. « On constate qu'une partie significative des dégradations des voies urbaines relève de questions d'assainissement comme on le voit à l’Indénié », souligne-t-il.
En effet les constructions anarchiques dues à l’urbanisation incontrôlée, provoquent des problèmes d'assainissement qui à leur tour affectent les voiries. Pire, certains habitants ne font pas preuve de civisme. « Des jeunes gens viennent boucher les avaloirs pour empêcher l'eau de couler normalement ; entraînant ainsi sa stagnation et créant par conséquent un ralentissement. Après, ils se font passer pour de gentils messieurs qui aident les usagers à passer. En retour ceux-ci, leur donnent des pièces pour l’effort », révèle M. N'Gatta Joseph, chef des opérations des travaux de l’Indénié.

Un autre problème à l’origine de la dégradation de la voirie, c'est le silence coupable des collectivités territoriales en charge de certaines portions des routes. En plus de l’Ageroute, les mairies et conseils généraux ont en charge la gestion de certaines voies. « L’Ageroute, en tant que maître d’œuvre délégué gère les routes dites d’intérêt national. Avec la décentralisation, d'autres maîtres d'ouvrage sont nés et ont en charge une partie du réseau. Par exemple, les routes communales sont à la charge des mairies ; les routes à l'intérieur des départements sont à la charge des conseils généraux. A Abidjan et Yamoussoukro, il y a des routes qui relèvent des districts », fait savoir le DG de l’Ageroute.
Cependant, en raison de l’ambiguïté des textes, ces différentes structures se marchent sur les pieds. En fait, la démarcation entre « routes communales », « routes départementales » et « routes d’intérêt national » est difficile à établir. Pour le moment, seule l’Ageroute engage des actions pour réhabiliter les routes abidjanaises, pendant que le district assiste.
Ce manque d’initiative, voire de prise de responsabilité, s’explique également par le manque de ressources financières. Car, même si le champ d’action de chaque maître d’œuvre est défini, il faudrait de gros moyens pour entretenir et réhabiliter les voies existantes, avant même d’espérer en construire de nouvelles dans la capitale économique ivoirienne. En attendant l'état des routes de la « Perle des lagunes » impacte sévèrement l’activité économique.

 

Quand la route tue l’économie (ENCADRE)

L’état de dégradation des routes abidjanaises ralentit l'activité économique. Le port, poumon économique du pays est difficilement d’accès. Les camions qui y vont pour convoyer les marchandises à travers tout le pays et dans les territoires voisins sont aujourd’hui confrontés à de réels problèmes. Crevaisons, embouteillages et accidents sont devenus leur menu quotidien. Plus grave, la nuit, ces conducteurs sont à la merci des braqueurs qui y dressent des embuscades.

Le mauvais état du réseau routier abidjanais joue négativement sur le chiffre d’affaires des entreprises ivoiriennes. « Je suis un acteur dans le domaine du transit en zone portuaire. Le mauvais état des routes nous crée beaucoup de torts. Car, une livraison faite en retard nous expose à des pertes énormes de marché puisqu’en affaires, la base, c’est la confiance à travers le respect des délais. Bien malheureusement, nous manquons souvent à certains rendez-vous. Et les dommages sont estimés à des milliards par an. C’est vraiment grave ! », s’indigne Souleymane T., chef d’entreprise.

La Société de Transport Abidjanaise (Sotra) est une des grandes victimes de la dégradation du réseau routier de la capitale économique. Son parc auto a été profondément affecté par les nombreuses pannes mécaniques. Ce qui l’emmène à engager des dépenses importantes dans les réparations et les travaux de  réfection des bus. Autrement, elle est obligée d’acquérir de nouveaux engins.  Avec la crise qui sévit, cette solution n’est pas envisageable dans l’immédiat. La Sotra est ainsi touchée même dans sa mission de service publique. Des lignes sont modifiées voire supprimées et le respect des horaires n’est plus une vertu dans la maison. Le spectacle des bus bondés montre également que la notion de confort est loin d’être le souci principal. En plus des finances, l’image de la Sotra est fortement écornée. Economiquement, cette situation est désastreuse. L’état de dégradation monstrueux des voies qui ceinturent son siège social en zone portuaire de Vridi achève de convaincre que la Sotra est vraiment dans la m…  Comme bien d’autres entreprises de la zone.

Si tant est que la route précède le développement, alors il y a vraiment de quoi s’inquiéter pour Abidjan et la Côte d’Ivoire. 

Jean-Michel Méa et  Sylvain Djépé

 

2è partie


Carrefour de l’Indénié

Une injure à l’intelligence ivoirienne

Le carrefour de l’Indénié défie depuis des années les intelligences ivoiriennes. Les ministres passent et les travaux entrepris trépassent. Les ingénieurs se succèdent et se cassent tous la figure. Rien n’est fait pour trouver une solution définitive au problème que pose l’Indénié. Il  demeure un casse-tête pour toutes les autorités et les grands ingénieurs de ce pays. Pour ironiser, les Ivoiriens ont  attribué plusieurs noms à ce ‘’ défieur’’ : « la piscine de Mel », « Melkro », « le jardin de Mel », en référence à l’ancien ministre de la Salubrité Urbaine, Mel Eg Théodore. Celui-ci avait pourtant suscité de réels espoirs vu les travaux effectués : épuration des canaux d'évacuation, plant d'arbres et de fleurs. Mais, une seule pluie a suffi pour noyer tous ces espoirs dans la lagune Ebrié. Depuis lors, à chaque saison pluvieuse, le carrefour de l’Indénié se transforme en une piscine grandeur nature.
Que de milliards engloutis dans les travaux à cet endroit. Aucune solution, même temporaire n’a pu être trouvée pour soulager les populations. Et pour cacher leur incapacité de réussir ce projet, certains ingénieurs ont soulevé des considérations supranaturelles. « Le carrefour est le dortoir d’un génie Ebrié », ont avancé certains d’entre eux. En fait, il n’en est rien. Ailleurs, l’homme a déjà démontré sa capacité à dompter la nature grâce à la technologie. Bref...
Aujourd’hui, les nouvelles autorités se sont emparées du problème dans le cadre du Programme Présidentiel d’urgence. Le défi est énorme et excitant. Réussir là où tous les autres ont échoué. « Nous avons la confiance des autorités. C’est donc un défi pour nous de réussir », avance N’Gatta Joseph, chef des opérations des travaux de l’Indénié.

Depuis donc, plus d’un mois, le carrefour l’Indénié subit les assauts des gros engins. « Nous devons épurer les canaux d’évacuation. Il en a deux principaux avec une profondeur moyenne de 2m qui recueille l’eau et la convoient vers deux autres, qui à leur tour débouchent sur la lagune. Le fait de n’avoir pas épuré les canaux au niveau de la baie lagunaire depuis des années a créé un dépôt de millions de tonnes de sable. C’est ce qui a fait reculer la lagune sur des centaines de mètres. Ce sable empêche l’eau d’accéder à la lagune. Nous allons donc unifier les deux canaux allant à la lagune pour avoir un véritable boulevard d’évacuation», explique le technicien.
En vérité, l’Indénié est le lieu de convergence de plusieurs canaux d’évacuation des eaux d’Abobo, du Zoo, d’Agban, d’Adjamé, de Williamsville et de Cocody.
Or, avoue le technicien, « le canal d’Adjamé est bouché et celui de Cocody endommagé par endroit. Donc, toutes ces eaux convergent vers l’Indénié avec une grande puissance. Une fois ici, malheureusement, cette masse d’eau ne peut plus avancer car, bloquée par ces tonnes de sable. Pire, elle arrive avec des déchets de toute nature et surtout la boue due à l’endommagement des canaux par endroit. C’est ce qui explique le stationnement de l’eau, la boue et tous les déchets ici ».
Le diagnostic semble bon. Les moyens ont été dégagés et les nouvelles autorités se sont lancées comme défi de résoudre définitivement le problème Indénié.  « Au delà de l’épuration des canaux, nous allons créer des bassins de rétention au niveau du monument des martyrs pour amortir le débit de l’eau. Ainsi, une fois plein, c’est uniquement  le surplus des eaux qui arrivera ici ; cette fois avec un débit faible et donc capable de couler jusqu’à la lagune puisque les canaux seront débouchés », ajoute M. N’Gatta.

La saison des pluies impose un rythme dense de travail, car, ce carrefour est très important dans la circulation à Abidjan. « Pour le moment, vu l’urgence, notre travail consiste à épurer les canaux afin de faciliter la circulation. Après avec des moyens conséquents, nous réaliserons les autres travaux », poursuit-il.  
Le ministre de l’Assainissement, de la Construction et de l’Urbanisme, M. Mamadou Sanogo, chargé de coordonner ce grand projet, est conscient de la tâche. Il a même effectué une visite sur les lieux le 16 juin dernier pour encourager les ouvriers. Et il n’a pas caché le soleil avec la main. « Le gouvernement a fait du problème de l’Indénié, une priorité. Mais, il faut l’avouer, les travaux sont énormes et nécessitent assez de moyens et surtout l’implication de plusieurs ministères : environnement, urbanisme, assainissement, salubrité… D’où la mise en place d’un comité interministériel. En attendant, nous proposons des solutions temporaires pour faciliter la circulation », s’est-t-il expliqué.
 
Pour une fois que les travaux ont lieu en période de pluie, moment propice pour apprécier le travail effectué, avec de gros moyens et une volonté politique affichée, il y a de fortes raisons d’espérer.  

Jean Michel Méa  

 

Ce qu’en pensent les Abidjanais

 

La dégradation des voies d’Abidjan sont une situation que les usagers de la route vivent mal. Tous sont unanimes que cette situation a de gros impacts négatifs sur l’économie du pays.

 

Namelesse Koumassi (directeur de société) :

« C’est vraiment un calvaire de circuler à Abidjan »

 

Tous les usagers de la route font l’amer constat de la dégradation de nos routes. C’est vraiment un calvaire de circuler à Abidjan. Il y a des nids de poule partout. Cette dégradation a de gros impacts négatifs sur la production nationale. Les conducteurs obligés de passer par ces endroits, voient leur véhicule se détériorer progressivement.  Il est impérieux que les autorités se penchent sur ce cas.

 

Zapka Eric (administrateur financier) :    

 

« A la Riviera, il est difficile de circuler »                                                 

Les routes d’Abidjan sont vraiment dégradées ce qui nous oblige   à faire des déviations. C’est ce qui entraîne les embouteillages auxquels nous assistons chaque jour à Abidjan. Tout le monde passe sur les mêmes routes. A la Riviera où j’habite, il est difficile de circuler maintenant. Aujourd’hui je roule cette voiture parce que la première est en panne. Et il ne sert à rien de la réparer puisque la même panne revient à cause des voies détruites.

Kadio Adjoumane (Ingénieur eaux et forêts) :

 

« Aucune commune n’est épargnée »

Le mauvais état des routes rend la circulation très difficile. Le matin, cela crée des embouteillages à n’en point finir, ce qui nous met en retard au travail. Aucune commune n’est épargnée. Même Cocody le quartier huppé n’échappe pas à la dégradation des voiries. On ne peut pas circuler normalement.

Camara Bakary (chauffeur de taxi compteur) :

 

« On ne peut pas faire notre recette journalière »

 

Toutes les grandes voies ont des nids de poules. Pour nous chauffeurs de taxi compteur, cela ne nous arrange pas. On ne peut pas faire notre recette journalière à cause de nombreux embouteillages partout. Pis, il faut à chaque fois faire un tour chez le mécanicien pour des réparations de pièces abîmées. Vivement que les nouvelles autorités  réhabilitent très rapidement ces routes pour qu’on puisse circuler tranquillement.  

 

Zoré Adama (chauffeur de Gbaka) :

 

« Quand il pleut, on est obligé de garer »

 

Les routes sont gâtées. On ne peut pas rouler normalement. On ne gagne plus d’argent comme avant. Et puis il y a des embouteillages partout. En cette saison des pluies, c’est grave. On est souvent obligé de garer le véhicule. Or, on recherche notre pain quotidien. On fait comment ?  Mais, depuis quelques temps, quand on passe sur les grandes voies, on voit des gens qui referment les crevasses. On espère qu’ils vont faire bon travail.                                   

 

Koné Aboubacar (chauffeur de wôrô-wôrô) :

 

« Nous les transporteurs, on souffre trop »

Il n’y a plus de route à Abidjan. Tout est gâté. Donc, tout le monde veut passer sur les routes qui sont bonnes. C’est ça qui crée les embouteillages partout.  A cause des mauvaises routes, le travail ne peut pas commencer effectivement à 7h00 dans les services.  Nous les transporteurs, on souffre trop. On ne peut plus faire notre recette. Et chaque six mois, il faut aller faire la visite technique. Avant d’y aller, on répare toutes les pièces cassées. Quand on revient, un mois après, tout se gâte.

Koné moussa (chauffeur de wôrô-wôrô) :

 

« Les  transporteurs travaillent pour réparer leur voiture »

 

A cause de la dégradation des routes dans la ville d’Abidjan, les activités économiques sont ralenties. Aujourd’hui, le transport est cher parce que les transporteurs ne gagnent plus rien. Ils travaillent pour réparer leur voiture. Les routes sont tellement dans un mauvais état qu’on est obligé parfois de rouler sur le trottoir. Cela crée des accidents par moment.  Si le gouvernement pouvait faire quelque chose pour arranger les routes, cela nous fera beaucoup plaisir.    

 

Diarrassouba Issouf (chauffeur de wôrô- wôrô) :

« L’Etat doit songer aussi à construire de nouvelles voies »

La dégradation des routes est très avancée à Abidjan.  L’Etat doit songer non seulement à les réhabiliter mais aussi, à construire de nouvelles voies. Ce n’est pas normal que de Yopougon à Adjamé, on ait une seule voie. Il en est de même du Plateau à Treichville, on a seulement deux ponts. Comment voulez vous qu’il n’y ait pas d’embouteillages et de dégradation rapide si tout le monde passe sur les mêmes voies chaque jour.

Keita Mamadou (chauffeur professionnel) :

A Abidjan, on souffre trop sur les routes. On ne peut plus rouler tranquillement, car toutes les artères sont dégradées. Partout c’est la même situation. Très tôt le matin, vous tombez dans un embouteillage sur toutes les grandes voies. On est obligé de faire de grands détours pour éviter ces embouteillages. Et le soir, on se sent fatigué comme si on avait été battu.  Le gouvernement doit  faire quelque chose.

Kouakou jeannette (couturière) :

« Les routes sont devenues des pistes villageoises  »

«  Il n’y a plus de route à Abidjan. Les routes sont devenues des pistes villageoises avec beaucoup de boue en saison des pluies. Pendant la saison sèche, la poussière prend la place. On est fatigué de tout ça. Chaque jour, on se débat sur les routes comme si on partait dans des campements. Pourtant, nous sommes dans la capitale économique du pays. Vivement que les nouvelles autorités se penchent sur cette situation.

 

Propos recueillis par

Jean-Michel Méa et Tano Fabrice

(Photos : Momboye)

 

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